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Sisters1Bien avant l’époque des coupes à la garçonne, une éternité avant les coupes « long dessus, rasée sur un côté », avoir des cheveux longs, très longs, était non seulement admiré, mais pouvait fournir un fonds de commerce extraordinaire.

C’est à la fin du 19ème siècle que les sept soeurs Sutherland et leur onze mètres de cheveux cumulés commencèrent à faire sensation. Et si Sarah, Victoria, Isabella, Grace, Naomi, Dora, et Mary Sutherland savaient chanter et jouer d’un instrument de musique, ceux qui venaient les admirer s’en fichaient pas mal: on voulait voir la quintessence du cheveu über-féminin, les Raiponce vivantes.

Nées entre 1845 et 1865, elles connurent une enfance des plus pauvres, au sein de la ferme familiale (élevage de dindes, on ne rigole pas) dans l’état de New-York. Elles s’occupaient des dindes pieds nus, en haillons, et pour couronner le tout, leur mère enduisait leurs cheveux d’une mixture huileuse et puante pour les renforcer. Autant vous dire que personne ne s’asseyait à leurs côtés à l’école…

Leur père, fainéant parmi les fainéants, était plus préoccupé par faire action de prosélytisme et s’intéressait aussi à la politique locale. Et surtout, il était ambitieux. Dès leur plus jeune âge, il fit chanter ses filles à l’église.

Sisters2Leur mère mourut en 1867, alors que Mary, la petite dernière, était encore un bébé. Mais ce fut aussi la fin de l’huile dégueulasse sur les cheveux! Fainéant mais sentant la bonne affaire, le père Sutherland décida que l’exploitation de sa progéniture lui rapporterait beaucoup. Et en avant la tournée des églises avec leurs voix et leurs instruments, et un frère (dont il fallait bien s’occuper, tout de même). Et cela commença à faire du bruit.

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Parce que rien ne vaut les apparences, il fallait à tout prix montrer que les cheveux des filles touchaient terre: ce qui explique qu’on les faisait poser de façon à ce que cela arrive: debout, à genoux, assises…

Surnommées « Les Sept Merveilles », elles arrivèrent à New-York en 1880, où elles firent leur début sur Broadway. En 1881, elles partirent en tournée vers le sud, la Floride, l’Alabama, la Nouvelle-Orléans, Atlanta. Elles faisaient sensation partout oùu elles passaient. Il faut dire, à une époque où les maladies et les remèdes limite toxiques pouvaient faire perdre leurs cheveux aux femmes, il était tout à fait normal qu’elles deviennent des symboles de féminité, aux pouvoirs presque magiques.

Sisters10Sarah, la sœur ainée, était celle dont les cheveux étaient les plus courts (90 cm). C’est pourquoi elle posait toujours assise. Victoria possédait quant à elle plus de deux mètres de cheveux. Ceux de Naomi étaient épais de 10 cm lorsque noués en tresse.

En 1882, Elles signèrent un contrat pour partir en tournée avec les W.W. Coles Colossal Shows, et en 1884, ce fut au tour de Barnum. La consécration.

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Sarah, à gauche, et Victoria, à droite

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Naomi (à gauche), la cinquième, était celle dont les cheveux étaient les plus épais. Elle eut trois enfants avant de mourir assez jeune en 1893. A droite, Dora, aussi connue sous le nom de « la mignonne ».

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Isabella, la troisième, aurait été adoptée. Grace, à droite, la quatrième, est celle qui a vécu le plus longtemps et qui a géré les affaires familiales.

Sisters7 Mary, à gauche, la plus jeune des sœurs, et également la plus fragile mentalement parlant. A gauche, le patriarche entrepreneur.

Comme l’argent ne rentrait pas assez vite, leur père, le Révérend Fletcher Sutherland lança un produit dérivé: une lotion permettant aux cheveux de ces dames de devenir aussi beaux, et longs, et épais que ceux des sœurs. Et la machine à cash fut lancée.

La lotion en question fut analysée par le journal The Pharmaceutical Era en 1893.  Elle contient 56% d’eau d’hamamélis de Virginie,44% de lotion capilaire, du sel, du magnésium, de l’acide hydrochlorique (pour enlever l’effet jaunissant de la mixture sur les cheveux). Vendus entre 50 c. et 1.5$ (ce qui pouvait représenter jusqu’à une semaine de salaire), les produits de la compagnie enrichirent très vite la famille.

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A la fin de l’année 1884, cette lotion avait rapporté à la Sutherland Sisters Corporation $90.000, une fortune pour l’époque. Fletcher Sutherland mourut en 1888, et les sœurs devinrent propriétaires à parts égales du commerce. Douées du même sens du commerce que leur père, elles développèrent toute une ligne de produits dérivés: un peigne, une lotion pour nettoyer le cuir chevelu, 8 teintes pour des colorations semi-permanentes, et d’autres produits cosmétiques comme des crèmes pur le visage. Business is Business.

Devenus riches au-delà de toute imagination, les soeurs défrayèrent la chronique et firent la une des journaux pour leur comportement quelque peu déluré, surtout pour l’époque. Au milieu des années 1880, elles ne pouvaient plus sortir dans la rue sans être assaillies par des hordes de fans.

En 1893, elles retournèrent dans leur campagne, se firent construire une immense demeure de 14 pièces pour y vivre ensemble (et en faire le siège de leur société). Elles y vécurent d’une façon opulente. L’argent aidant, elles menèrent une vie de débauche. De fil en aiguille, les modes évoluant (les cheveux courts dans les années 1910), l’argent se raréfiant, elles connurent des fins de mois difficiles, et des fins de vie tout aussi difficiles.

Isabella mourut en 1914. Les trois dernières sœurs partirent vers Hollywood en 1919 dans l’espoir que leur histoire passe sur le grand écran. Raté: Dora fut tuée dans un accident de voiture lors du voyage, et aucun contrat ne fut signé. Mary et Grace étaient si pauvres qu’elles ne purent payer la crémation de leur sœur, dont le corps resta non-réclamé.

En 1920, les cheveux longs n’étaient plus à la mode. Leurs produits ne se vendaient plus. En 1936, l’entreprise familiale mit la clé sous la porte. Le 24 janvier 1938, la maison, alors vide, prit feu. Les documents, brevets, recettes partirent en fumée. Mary atterrit à l’asile de l’état de Buffalo où elle mourut en 1939. Grace est morte dans la pauvreté la plus crasse en 1946, a l’âge de 92 ans.

Ainsi en va-t-il des modes…

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